Urbanisme

A Lille, la métropole veut renouer avec les circuits courts

Le temps des villes et des territoiresdossier
La Métropole européenne de Lille a adopté en juin une stratégie d’économie circulaire à l’horizon 2030. Son objectif : réduire sa dépendance à l’égard des importations en favorisant les circuits courts et le recyclage.
par Eve Szeftel
publié le 26 septembre 2021 à 8h30

La métropole, ce n’est pas qu’une grande ville entourée de satellites «périurbains» ; ce n’est pas non plus qu’un «machin» institutionnel. La métropole, c’est aussi, très concrètement, de la matière : de l’eau, des aliments, de l’énergie, des matériaux de construction. Des flux qui entrent (ressources extraites, importations), qui sortent (exportations, émissions vers la nature), qui traversent (transport, logistique).

Les urbanistes Marc Dumont et Sabine Barles ont eu l’idée de cartographier ces flux, à l’échelle de la Métropole européenne de Lille (Mel), afin d’appréhender le périmètre métropolitain autrement que par l’opposition «ville/campagne» qui structure encore les représentations. Cet effort inédit de quantification a donné lieu à la publication d’un cahier de la collection Popsu/Autrement inititulé Métabolisme et métropole : la métropole lilloise, entre mondialisation et interterritorialité. «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme» : inspiré du fameux adage du chimiste Antoine Lavoisier, le terme de métabolisme urbain permet d’«embrasser l’ensemble des flux physiques qui sont mis en jeu par le fonctionnement des sociétés» et de voir comment les ressources sont transformées, digérées par la métropole, explique Marc Dumont, professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’université de Lille.

Patates Ch’tis émettrices de CO2

Le résultat de ce travail de recherche, qu’il a présenté lors du séminaire Popsu fin août, est surprenant. «On a découvert que la Mel est très agricole – 44 % de son territoire est rural –, très productrice, mais que, pour l’essentiel, ces matières ne sont pas consommées sur place : elles sont transformées en Belgique ou ailleurs, pour être ensuite réimportées.» Alors que le territoire de la métropole, véritable «grenier de la France», pourrait être autosuffisant sur certaines productions, la Mel importe plus de 90 % des céréales, des fruits et légumes, du lait et de la viande consommés par ses habitants, dont 67 % proviennent de l’extérieur de la France. Ce phénomène de grand chassé-croisé a un nom : la mondialisation, qui a conduit à une fragmentation extrême de la production.

Le comble de l’absurdité étant sans doute atteint par la pomme de terre : 170 900 tonnes de patates sont produites par an sur le territoire, soit amplement pour couvrir la consommation locale, estimée à 25 kg par habitant. Sauf que les patates ne sont pas transformées dans le département, mais de l’autre côté de la frontière, en Belgique. Le leader mondial de la frite surgelée, l’Américain McCain, a beau revendiquer, sur son site internet, «travailler avec plus de 800 producteurs français des Hauts-de-France et du Grand Est», il en faut des kilomètres et des émissions de CO2 avant que cette production locale ne se retrouve dans l’assiette des Ch’tis. Dans le Nord, la distance moyenne d’approvisionnement alimentaire est de 500 km ; en Ile-de-France, pour les seules protéines, elle atteint 700 km.

Des chiffres qui traduisent l’ampleur de la déconnexion entre production agricole et consommation alimentaire, et soulignent l’urgence à mettre en place des circuits courts. A cette fin, la Mel s’est dotée en 2019 d’un «Plan alimentaire territorial» pour lutter contre le gaspillage alimentaire et «a engagé des discussions avec la grande distribution pour qu’elle internalise davantage de produits locaux», explique Paulo-Serge Lopes, chargé de mission alimentation et stratégie alimentaire à la Mel.

Granulats marins outre-Manche

La crise du Covid-19 a révélé l’ampleur de la désindustrialisation et de la dépendance hexagonale vis-à-vis de l’étranger. Et tout l’intérêt de l’étude est de resserrer la focale sur un territoire au grand passé industriel. Ainsi, le département du Nord abrite le siège de géants mondiaux – et français – de l’agroalimentaire, comme Bonduelle ou Lesaffre, spécialisé dans les levures. Mais il n’accueille plus que leur siège, justement, les usines ayant été délocalisées hors de France où ne subsistent bien souvent que les centres de recherche des grands groupes. Dans les matériaux de construction, on marche aussi sur la tête : on importe dans le Nord beaucoup plus de matériaux qu’on en extrait du sol. La Belgique contribue pour 47 % aux importations, notamment grâce aux carrières du bassin de Tournai, et des granulats marins traversent aussi la Manche. Le recyclage reste limité, puisqu’il ne concerne que 20 % de la consommation des ressources naturelles.

Encouragée par les travaux de Popsu et un contexte institutionnel favorable («Green deal» de l’Union européenne en 2019, loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire en 2020), la Mel a commencé à se pencher sur le sujet en mars 2020. Elle a d’abord identifié les initiatives existantes sur le territoire : plus de 300, qui vont du réemploi, sur un même chantier, de matériaux déconstruits pour la reconstruction, à la transformation de déchets alimentaires en biométhane pour faire rouler les bus de l’agglomération.

«Reboucler la boucle»

Adoptée par l’assemblée métropolitaine le 28 juin, «la stratégie et plan d’actions Economie circulaire 2021-2030», qui concerne aussi la filière textile, repose sur trois piliers : la planification, afin que «cet objectif soit appréhendé par toute la chaîne de valeur», l’augmentation de la commande publique et le développement de plateformes de tri et recyclage sur le territoire, explique Malika Bohem, cheffe de projet économie circulaire à la Mel. «Pour que la volonté de la Mel puisse se décliner dans tous les grands chantiers, il y a un travail à faire avec les acteurs du BTP» mais aussi avec les villes, qui devront intégrer cet objectif à leur Plan local d’urbanisme.

Le privé aussi s’y met. Deux bailleurs sociaux, Vilogia et LMH, travaillent sur un projet, baptisé « Méta », de plateforme de réemploi des déchets minéraux issus de la rénovation de 4 000 logements dans le cadre du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Une usine de recyclage devrait être implantée à Roubaix et former un de ces «nœuds métaboliques» que Marc Dumont espère voir fleurir sur le territoire, soit des installations qui concentrent et redistribuent les flux à l’échelle régionale. L’enjeu pour les Hauts-de-France n’est pas mince : selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), 30 000 emplois pourraient être créés d’ici 2030 si la région parvient à réduire sa dépendance et «reboucler la boucle».

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