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De l’effondrement à la résilience : une mise en accusation inédite menée par les urbanistes de demain

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Dans le cadre d’un atelier inter-masters, des étudiants de l’IUGA ont planché sur la fragilité de nos modèles de développement et la construction d’une stratégie de résilience territoriale. Les conclusions de cet atelier ont pris la forme d’un procès fictif, qui s'est tenu le 24 janvier 2020 à l'ancien palais de justice de Grenoble.

De l’effondrement à la résilience : une mise en accusation inédite menée par les urbanistes de demain

Dans le cadre d’un atelier inter-masters, en lien avec le programme de recherche Popsu dédié à la métropole résiliente, une soixantaine d’étudiants de l’IUGA ont planché sur la fragilité de nos modèles de développement et la construction d’une stratégie de résilience territoriale. Les conclusions croisées de cet atelier, qui s’est déroulé en trois étapes de septembre à décembre 2019, ont pris la forme inédite d’un faux procès le 24 janvier 2020, sous les ors de l’ancien palais de justice de Grenoble. Tous coupables.

De l’effondrement à la résilience : quand l’urbanisme s’interroge

Les questions de résilience urbaine, en région grenobloise notamment, sont complexes et sensibles. Une fois prise la mesure des vulnérabilités, au delà du risque environnemental, elles embrassent le projet de société, l’évolution des modes de vie, la stratégie des territoires et le fonctionnement de notre modèle de développement. Un sujet transversal parfait pour l’Agence d’urbanisme qui explore ces questions depuis que son Conseil scientifique en a fait le thème du Grand A 2018, et que le programme Popsu 3 piloté par Magali Talandier lui consacre ses recherches pluridisciplinaires à l’échelle de la métropole grenobloise. En parallèle, des démarches prospectives ont été relancées à l’échelle de la région grenobloise et une thèse Cifre est en projet à l'Agence.

Une fois les constats et les enjeux partagés, des pistes ont été envisagées pour inventer l’avenir de la région grenobloise :

  • Comment penser le futur en intégrant les connaissance scientifiques sur le changement climatique, la montée des incertitudes, le renouvellement des savoirs liés à l’anthropocène ? ​
  • En quoi ces connaissances impliquent de revisiter la manière de penser l’aménagement du territoire et l’urbanisme ? ​
  • Comment construire une stratégie de résilience territoriale intégrant ces paramètres ?​
  • Comment regarder la réalité en face, sensibiliser les publics et communiquer objectivement sur des sujets potentiellement angoissants ?

Sur commande de l’Agence d’urbanisme, une soixantaine d’étudiants de trois masters*, accompagnés par leurs professeurs enseignants à l'IUGA et à l'Ensag et six chargés d’études de l’Agence, ont exploré durant un trimestre les futurs à l’aune de l’anthropocène, marquée à la fois par des quasi-certitudes (ce qui est prévisible) et par de fortes incertitudes (ce que nous ne sommes pas en capacité de conceptualiser à ce jour) sur le futur proche. Entre résistance, transition et bifurcation radicale, comment se situe ou pourrait se situer la résilience de la métropole-montagne ?

Ce thème de l'effondrement, si tristement à la mode, valait le coup de s’allier entre personnes de disciplines et de points de vue différents. C’était une façon de poser les limites et possibilités de l’urbanisme dans le contexte contemporain.

Jennifer Buyck, maîtresse de conférences à l'Institut d'Urbanisme et de Géographie Alpine et chercheure à l'UMR PACTE

3 promos, 3 thèmes, 3 mois de travail

Les étudiants de l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine (IUGA) de Grenoble ont travaillé entre septembre et décembre 2019 autour de trois thématiques : paysage alimentaire et biodiversité, accueil – hospitalité, Smart city et fragilité des réseaux numériques et électriques. Ils se sont appuyés sur des travaux scientifiques pour démontrer l’existence de menaces probables sur les ressources, les réseaux et le fonctionnement du territoire. En complément, ils ont réalisé des enquêtes, des entretiens, des lectures pour : ​

  • Mieux comprendre la notion d’effondrement et les facteurs locaux de vulnérabilité, ​
  • Appréhender le contexte local,
  • Identifier des ressources existantes pour la résilience. ​

Suite à ces travaux ont émergé des propositions de modèles résilients pour repenser l’aménagement du territoire et l’urbanisme, ou des visions possibles du futur.​ Un enjeu : se préparer aux évolutions prévisibles mais aussi, à celles qui ne le sont pas.

Cette interrogation sur le collapse, nous avons choisi de l’orienter sur la thématique de la résilience : une façon de la territorialiser, de l’ancrer sur notre territoire. Nos étudiants de 3 promotions différentes se sont attelés à s’interroger sur la résilience à la fois digitale, qui porte sur le modèle économique grenoblois, mais aussi la résilience de la nature, de l’alimentation, du paysage… et puis enfin de l’hospitalité.

Nicolas Douay, professeur des Universités en Aménagement et Urbanisme à l'IUGA

Pour les étudiants, cet atelier leur a permis « d’aller chercher dans l’histoire, dans nos histoires locales, familiales… de remettre en cause des schémas de pensée, de mêler nos différents projets » mais aussi d’aborder toutes les questions de l’effondrement et de la résilience à travers des spectres aussi variés que l’anthropologie, l’architecture, l’urbanisme, la sociologie ou l’économie.

Le faux-procès : une idée-choc pour confronter visions, problèmes et solutions

Après trois mois de travail, la restitution des ateliers a eu lieu le 24 janvier sous la forme inédite d’un faux procès, au sein même de l’ancien palais de justice de Grenoble qui a conféré une certaine solennité aux débats menés tambour battant. Juge, greffier, avocats de l’accusation et de la défense… ont joué le jeu avec un réalisme confondant.
Troubles à l’ordre public, apologie du défaitisme, appel au démantèlement des institutions territoriales et gouvernementales et remise en cause des outils de la planification urbaine… À travers ces quatre chefs d’accusation, le groupe des étudiants accusés a défendu un projet fondé sur un changement de modèle économique et sociétal. Nouvelle échelle de gouvernance, solutions aux réfugiés climatiques, territoires régionaux autonomes, redéploiement du système alimentaire, nouveaux outils d’urbanisme… leurs propositions ont été débattues et argumentées devant les chargés d’étude de l’Agence désignés comme « jurés » pour le faux procès, au côté d’étudiants, de leurs professeurs, et de chercheurs. ​

Les professeurs, les chargés d’étude de l’Agence d’urbanisme et les étudiants se sont félicités de ce format inventif, qui a permis de mettre en scène durant trois heures intenses, rythmées par le maillet de madame le juge, le vaste champ des questionnements et des possibles.

Ces travaux interrogent la manière dont on peut renouveler les formats de discussions publiques, des enjeux de l’urbanisme, de l’habiter de demain, des enjeux d’environnement (…) Il y a un ancrage local qui est très fort, et en même temps une volonté de mettre en perspective cette observation avec l’histoire du monde et de ses sociétés.

Nicolas Tixier, architecte, docteur en sciences pour l’ingénieur et enseignant à l’Ensag et à l’IUGA

Et après ?

Cet atelier a fait l'objet d'une synthèse, reprenant l'ensemble des pistes et scénarios envisagés par les étudiants... une matière riche pour sensibiliser les collaborateurs de l’Agence et ses membres, élus et techniciens des collectivités, et alimenter les études exploratoires qui croisent et concerne l'ensemble des thématiques de l'Agence. Ces travaux croisent également les réflexions en cours engagées sur les démarches prospectives du territoire.

* Master 1 Urbanisme et coopération internationale, Master 2 International cooperation in urban planning et Master 1 Design urbain de l'IUGA de Grenoble