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Chronique «Vous êtes ici»

Europan, le concours d'urbanisme le plus discret (et le plus intelligent)

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Chaque semaine, une histoire de villes, de villages et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, un documentaire réalisé pour les 30 ans d'une consultation qui réunit les architectes et les élus autour de sites à problèmes. A l'échelle européenne, de surcroît.
par Sibylle Vincendon
publié le 9 mai 2019 à 18h29

A l'époque où il n'est question que de concours pour «réinventer» Paris, la Seine, les dessous de Paris, la métropole du Grand Paris et autres déclinaisons en France, on peut rappeler que, depuis trente ans, la consultation Europan réinvente elle aussi la façon de fabriquer la ville. Avec un modèle plus vertueux, où il est davantage question de réflexion que d'argent.

Dans les appels à «réinventer», ce sont en effet des propositions d'investisseurs qui sont choisies, certes couplées avec un projet architectural supposé développer les potentiels d'un site. Mais si la collectivité, qui préside le jury, va examiner l'aménagement proposé par l'investisseur, elle va aussi regarder le prix qu'il propose pour acheter le terrain.

Rampe de lancement

Avec Europan, l'aspect investissement disparaît. Ce que cherchent les collectivités en se tournant vers ce système, c'est d'abord une solution pour un endroit généralement pas simple. Le dispositif concerne une vingtaine de pays européens dont proviennent à la fois les équipes d'architectes, d'urbanistes et de paysagistes qui s'inscrivent au concours, les sites à aménager et les jurys. Le regard sur les propositions des équipes n'est pas seulement celui des élus locaux.

La consultation a lieu tous les deux ans, avec à chaque fois un thème pour éviter un foisonnement qui partirait dans tous les sens. Habiter la ville, la ville productive, l’urbanité européenne, chez soi en ville, insérer les rythmes urbains, résonances entre territoires et modes de vie ont été quelques-uns de ces thèmes.

Ce n’est pas un concours de jus de crâne : la plupart du temps, les collectivités gardent les équipes lauréates pour construire, même si bien des changements et des adaptions peuvent intervenir ensuite. Europan étant réservé aux professionnels de moins de 40 ans, c’est une sacrée rampe de lancement.

La modernité des solutions

La dimension européenne est réelle. On la mesure très bien dans le documentaire que l'organisation a fait réaliser pour ses 30 ans. Intitulé En devenir, le film de Maurice Cheng et Olivier Mitterrand a suivi quatre situations pas commodes à Amiens (une gigantesque filature en friche), Marseille (le quartier du Plan d'Aou), Saintes (un centre-ville ancien de ruelles et de maisonnettes en déshérence) et Vienne en Autriche (un site à bâtir entre autoroute, voie de chemin de fer et ligne à haute tension). Le facteur Europe a joué dans le choix des lauréats : des Espagnols ont été retenus pour Vienne et des Danois pour Marseille.

Mais ce qui frappe dans ces quatre exemples, c’est la modernité des solutions. A Amiens, les lauréats ont proposé en 2017 un parc de phytoremédiation pour les sols pollués. A Marseille, en 2014, l’équipe a dessiné un nouveau découpage foncier, préconisé la dissociation de la propriété du sol et du bâti et des systèmes juridiques simples pour agrandir ou rétrécir sa parcelle au fil des besoins. Bref, des solutions qui commencent à peine à se diffuser dans les pratiques ou dans le droit. Mais surtout, des réponses qui rencontrent à la fois l’environnement et le social.

Dans En devenir, Alain Maugard, président d'Europan, résume : «Europan est un endroit formidable où on peut gagner un concours en répondant à côté de la question et en disant même : "La question a été mal posée et si elle avait été mieux posée, voilà la réponse." Il n'y a pas beaucoup d'endroits où vous pouvez faire ça.»

Depuis 1988, Europan a mobilisé 20 370 équipes qui ont réfléchi sur 530 sites dans 23 pays. La France a retenu 170 projets.

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