Habitat 88 (1981-1989)

Lorsque la décennie 1980 débute, la crise que connaît le secteur du bâtiment depuis le milieu de la décennie précédente se poursuit. La demande reste forte mais la production continue de chuter.

L’idée de lancer une « action coup de poing » pour freiner la décrue des commandes est proposée. Plusieurs voies sont examinées dès 1980 parmi lesquelles celle d’une industrialisation « radicale » à l’exemple du programme japonais Housing 55, qui visait à mettre au point, avec les plus gros industriels du pays, des « produits-logement ». La perspective de transposer en France la production manufacturée de « produits- logement » est écartée tant pour des considérations culturelles qu’économiques. Cette voie ne sera toutefois pas complètement abandonnée comme en témoigneront la fabrication de modules tridimensionnels en usine, qu’ils soient en béton, en acier ou en bois. La voie que Habitat 88 (1981-1989) s’est proposée d’explorer est celle de la variété des solutions en rapport avec la diversité de la demande et la multiplicité des acteurs du secteur productif.

L’analyse de la situation du secteur conduit les promoteurs du programme Habitat 88 à proposer une mobilisation des professionnels bien au-delà des thèmes techniques. Les gisements économiques se trouvent également dans l’organisation, le système de relation entre les partenaires, la conception même de l’habitat et la réglementation qui l’accompagne. Le 28 septembre 1981, le programme Habitat 88 est créé sur ces bases. Le 28 janvier 1982, est annoncé officiellement l’objectif économique : réduction de 25 % des prix à l’horizon 1988. « À cette date, les solutions mises en évidence auront été testées en vraie grandeur sur 20 000 logements, volume suffisamment significatif pour attester de leur diffusabilité ».

L’année 1982 sera consacrée à rechercher une formulation de l’objectif du nouveau programme qui soit recevable par les constructeurs « malgré un contexte économique plus propice aux réflexes de survie à court terme qu’aux spéculations intellectuelles sur le moyen ou le long terme ». Habitat 88 sera ainsi une vaste consultation nationale aux thèmes très largement ouverts et s‘adressant à l’ensemble des partenaires du secteur de l’habitat. L’ensemble des actions engagées visera à donner à tous les moyens de présenter leurs idées, de les tester, de les développer, et à rendre possible la convergence finale de ces initiatives.


Consultations

Le 15 décembre 1982, l’appel à propositions Habitat 88 est lancé : « Toutes les compétences sont appelées à s’exprimer » pour, « par l‘accumulation de multiples gains » atteindre une « baisse globale de 25 % du coût de construction ». La mission du programme Habitat 88 est d’obtenir ces gains tout en améliorant la qualité, en revalorisant le travail et en maintenant des marges suffisantes pour les acteurs économiques. Une référence explicite aux mesures induites par les chocs pétroliers de la décennie précédente est inscrite dans l’appel : « Les normes H2E85 devront impérativement être intégrées au projet : 50 % de consommation d’énergie en moins par logement par rapport à 1980 ». La notion de coût global est introduite plus timidement : « À chaque fois que cela sera possible, le gain sur le rapport qualité-coût sera calculé sur la somme des coûts d’investissement et des coûts d’entretien pour l’utilisateur ».

Cette consultation drainera 550 dossiers sur quatre thèmes majeurs :

  • les relations entre acteurs : des liens plus étroits entre concepteurs et entrepreneurs, sur un mode particulier au secteur du Bâtiment et, en fait, différent du modèle de la production industrielle ;
  • les moyens informatiques : indispensables à un traitement partagé de données induit par ce rapprochement des acteurs ;
  • les solutions techniques : même s’il est acté qu’aucune d’entre elles ne saurait à elle seule apporter un gain de 25 % sur les coûts, sont au cœur de la réflexion sur l’industrialisation ;
  • la conception de l’habitat : cet acte initial d’un projet conditionne le degré d’industrialisation du processus de fabrication.

Des recherches et des études liées aux opérations expérimentales ont été financées pendant cinq ans par le Plan Construction et Architecture. Cinq appels à propositions ont été lancés entre 1985 et 1988.


Synthèse des résultats

En ce qui concerne les techniques de construction proposées, « on constate que les innovations techniques sont rares et que les nombreuses propositions présentent des procédés de construction bien connus, souvent mal adaptés à la conjoncture actuelle. Dans le domaine des matériaux, l’absence des grands groupes industriels (et de leurs laboratoires de recherche) explique probablement le peu d’intérêt porté aux produits issus des progrès de la chimie moderne, notamment les revêtements de sol, les peintures et autres semi-produits susceptibles de remplacer des matériaux traditionnels » (H. Becker, Idées à Bâtir, p. 97). Un regard plus factuel confirme le grand nombre de partis constructifs déjà connus et même banalisés tout en mettant en évidence quelques composants nouveaux intégrant souvent plusieurs fonctions (bloc-baie, blocs porteurs isolants servant de coffrage perdu, blocs sanitaires, gaines multifluides préfabriquées).

Les systèmes à base de bois sont particulièrement présents et déclinés suivant de nombreuses directions : modules tridimensionnels, éléments dépliables, solutions mixtes (bois-béton, bois-brique). Le métal est également présent, souvent associé à d’autres systèmes ou matériaux : béton cellulaire, mortier projeté. Le béton est omniprésent. L’amélioration des conditions de travail est également une entrée débouchant sur des propositions techniques (blocs manuportables, outillage). L’utilisation de procédés innovants pouvant déboucher sur une réflexion relative… aux 35 heures.

Lors des "Journées Habitat 88" de 1984, Paul Quilès, ministre de l’urbanisme, du logement et des transports, annonce dans son discours de clôture de ces journées que « 1985 sera l’année des cent premiers chantiers du secteur pilote Habitat 88 dont les résultats serviront de points de repère à l’ensemble du secteur ». Presque dix mille logements seront construits dans le cadre de ce secteur pilote jusqu’en 1989. Pendant cette période, plusieurs appels à propositions destinés à approfondir certains thèmes seront lancés.

Entre 1985 et 1989, le périmètre du secteur pilote s’étendra à 229 opérations, représentant 9583 logements aidés. Ces opérations sont essentiellement issues des dossiers déposés à l’appel à propositions du 15 décembre 1982. Quelques opérations résultant d’initiatives ou de programmes régionaux seront également intégrées au dispositif.

La majorité des opérations ont été terminées en 1988, ou étaient voie d’achèvement à cette date. Il s’agissait essentiellement de logements du secteur locatif aidé. Pour ce qui est des caractéristiques thermiques et acoustiques, les logements du secteur pilote présentent une nette amélioration en comparaison au reste du marché. Lorsque la comparaison est possible, les délais d’exécution constatés lors des opérations du secteur pilote sont en réduction de un à deux mois. Cette réduction, plus sensible en collectif qu’en individuel pour des procédés courants, devient plus significative pour des procédés d’assemblage, notamment les modules tridimensionnels.

L’analyse économique des opérations du secteur pilote fait apparaître une amélioration par rapport au niveau du marché constaté sur la période 1984-1988. Exprimée par le ratio prix (bâtiment + honoraires)/prix de référence sur une base 100 % en 1982, la performance constatée pour le secteur pilote est 89 % à comparer à 93,4 % pour le marché sur la période citée.

Par ce programme, la démonstration aura été faite que les améliorations de productivité, de qualité, de coût, passent par l’organisation d’une concertation étendue à l’échelle d’un projet, commençant dès la programmation et devant se poursuivre jusqu’à la réception. La démonstration aura également été faite que la technique a tout intérêt à être abordée de manière ouverte afin de tirer parti des atouts des divers procédés et matériaux pour assurer les fonctions attendues du projet. Les démonstrations faites, se pose la question de la pérennisation de ces acquis.

La généralisation des résultats aura été au centre des réflexions. Compte tenu de la diversité des contextes locaux des opérations expérimentales, la diffusion la plus efficace semblait se situer au niveau régional. Habitat 88 s’est terminé, mais le Secteur Pilote d’Innovation Régionalisé (SPIR) devait permettre à tous les professionnels ayant activement contribué à Habitat 88 de continuer à trouver un appui pour leurs projets d’innovation. Dans le secteur de la construction neuve, le SPIR a donné lieu à 227 opérations, totalisant 7064 logements. Dans celui de la réhabilitation, on recense 58 opérations, pour 9 336 logements.


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