Les transmigrants extra-européens et l’économie mondiale du « poor to poor »

La façon dont les territoires urbains sont affectés, en France et en Europe, par les migrations est le plus souvent appréhendée à travers des représentations schématiques. Il y aurait d’un côté les « immigrés » dont le destin serait de s’intégrer au tissu urbain via l’habitat et l’emploi et à « B s’invisibiliser » à la manière des vagues migratoires qui les ont précédés. Il y aurait d’un autre côté les nomades, Roms et gens du voyage, dont on préjuge tantôt la vocation à se sédentariser, tantôt le caractère choisi et « culturel » d’une itinérance qui peut en réalité être subie. Difficile de dépasser l’opposition entre mobilité et ancrage, entre identité et localité, ou, a contrario , de ne pas associer insertion et sédentarité et ce à l’heure même où les marchandises circulent d’un bout à l’autre de la planète. Nous nous intéressons ici aux migrants-nomades, inscrits dans la mondialisation économique et absents du tableau.
Une sociologie attentive à la matérialité des flux économiques et à leurs agents permet en effet de remettre en cause cette vision des choses. Elle permet de décrire des mouvements qui témoignent de la mondialisation d’une économie qui n’est pas seulement celle de la compétitivité high tech et de l’économie de la connaissance mais celle de « l’entre-pauvres », du poor to poor, dont les acteurs principaux sont des transmigrants, autrement dit des migrants transnationaux en perpétuelle circulation entre les espaces de l’acquisition, ceux de la commercialisation et des services associés.
Cette mobilité ne signe pas un arrachement définitif au sol ni un abandon des identités. Elle produit, aux nœuds des « territoires circulatoires » qu’elle forme, de nouvelles interactions avec les populations « installées », en particulier celles issues de migrations « classiques ». Loin d’entraîner la dissolution des identifications culturelles ou ethniques, d’appartenance ou de stigmate, cette mobilité les recombine. Car cette économie fonctionne essentiellement sur des liens forts, ceux qui mêlent interconnaissance, parenté, origine et religion, et non sur l’interchangeabilité des agents à laquelle l’économie marchande contemporaine nous a habitués.

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