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Territoires et universités

publié le 27 février 2015

Universités et territoires : vers un nouveau régime de relations ?

Éditorial

Marie-Flore Mattei, Jérôme Aust, André Bruston, Élisabeth Ascher-Campagnac

Les relations entre les institutions académiques et leurs territoires d’implantation ne sont pas nouvelles. Si les universités se sont inscrites, depuis le Moyen-Âge, dans des réseaux internationaux d’échanges, elles ont aussi développé des relations avec les pouvoirs et les intérêts socio-économiques territoriaux. Élus et milieux patronaux locaux ont, par exemple, participé sous la IIIe République au développement des facultés en soutenant financièrement des cursus, des laboratoires et des chaires d’enseignement.
Plus près de nous, le soutien financier apporté par les élus locaux à la construction et à la rénovation des bâtiments universitaires pendant la décennie 1990 a été décisif pour permettre le retour de l’université dans la ville et pour accroître les capacités d’accueil des universités françaises. Des travaux de sociologues, d’historiens, d’urbanistes, de politistes et de géographes ont contribué à documenter l’établissement et la redéfinition de ces relations entre institutions académiques et territoires. En 1994, les Annales de la recherche urbaine consacraient ainsi un numéro spécial « Villes et Universités » à ces thématiques. Vingt ans après ce numéro, les relations entretenues entre les institutions académiques et les territoires semblent avoir connu d’importantes redéfinitions sous l’effet de plusieurs recompositions.
Les politiques engagées, un peu partout en Europe, pour accroître la visibilité et la compétitivité de certains établissements ou de certains regroupements ont des incidences territoriales fortes. Elles peuvent, comme c’est le cas en France, contribuer à redessiner le périmètre des institutions académiques en enjoignant les établissements à se regrouper sur des bases territoriales. Elles confrontent, par ailleurs, les établissements à une demande d’intensification de leurs relations avec leurs partenaires locaux, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux. À un niveau plus macroscopique, elles ont enfin des incidences sur les équilibres de la carte universitaire en différenciant plus nettement les établissements et les sites. Les acteurs locaux, collectivités locales mais aussi intérêts économiques, participent de ces restructurations.
Dans le champ économique, le renforcement de la place de la connaissance dans les processus productifs accroît aussi les injonctions à renforcer les collaborations entre universités, laboratoires de recherche et entreprises. Là encore, le territoire peut constituer un support de ces échanges, comme le développement des clusters et des pôles de compétitivité le montre bien. Dans certains pays, le renforcement de l’autonomie des universités accroît, enfin, le rôle qu’elles peuvent jouer au niveau local. Par les externalités qu’elles produisent, par le potentiel d’emploi qu’elles représentent, par les investissements qu’elles engagent, les institutions académiques sont devenues à l’égal des hôpitaux et des entreprises des acteurs majeurs du développement territorial.

Trois axes de questionnement sont privilégiés.

Territoires et réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche
Les années récentes ont vu l’engagement de multiples réformes dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le renforcement de l’autonomie des universités, le développement de multiples dispositifs de coopération (comme en France, les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) et la concentration plus forte des ressources sur quelques sites contribuent à redéfinir les relations entre l’académie et le territoire. Comment les stratégies territoriales des établissements sont-elles définies ? Qui participe à leur formalisation ? Comment les initiatives de l’État, des collectivités locales interfèrent-elles les unes avec les autres ? Comment les différents dispositifs (Pres, pôle de compétitivité…) parviennent-ils à s’articuler ? À quels déplacements des équilibres financiers assiste-t-on ? Quelle est l’ampleur des financements locaux ? Quelles sont les conséquences de ces dispositifs sur la carte de l’enseignement supérieur et de la recherche ? En quoi participent-ils d’une différenciation plus nette des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche ? En quoi peuvent-ils être producteurs d’inégalités territoriales ?

Territoires, société de la connaissance et nouvelles formes de production du savoir
La mondialisation et l’importance accrue de l’innovation dans les processus de développement économique redéfinissent également les relations entre le monde économique et l’académie. Le territoire en tant qu’il est un support de ces échanges et en tant qu’il est mobilisé par des dispositifs comme les pôles de compétitivité pour accroître les échanges entre la science et le marché joue un rôle dans ces restructurations. Quelles sont les incidences territoriales d’un basculement dans des économies où la connaissance joue un rôle structurant ? Comment des structures comme les pôles de compétitivité redéfinissent-elles les relations entre les laboratoires et les entreprises ? Quel est le rôle du territoire dans la structuration des collaborations entre laboratoires de recherche et entre laboratoires de recherche et entreprises privées ? En quoi ces nouvelles relations ont-elles des incidences sur la production des connaissances et les processus d’innovation ? Quelle est la part de production d’image et d’investissements de moyen terme ?

L’université comme acteur urbain
L’intensification des relations entre l’université et le territoire pose la question de l’émergence des universités comme acteurs urbains. Les universités, par leur action mais aussi par les externalités qu’elles produisent, contribuent à façonner la ville et la vie urbaine. Comment les universités participent-elles à la production de la ville ? Leur devenir conduit les collectivités locales à la prise en compte du développement spatial des établissements et des populations de l’enseignement supérieur : planifications ou programmations de moyen terme ? Avec quel niveau de responsabilisation dans le logement et les modes de vie étudiants, dans la promotion des accès et déplacements ? Avec quelles contractualisations ? Que représentent les tendances à l’autonomie dans ce mouvement ? Comment repenser les relations entre les universités et la ville, quelles compétences intellectuelles les universités peuvent-elles mettre au service de la conception des villes elles mêmes et investir dans les politiques publiques locales ? Les textes de ce numéro « Territoires et universités » se saisissent largement des questions soulevées par cet appel à articles contribuant ainsi à identifier les formes de restructurations qui marquent les relations entre l’université et les territoires et en en éclairant différentes facettes.

Jérôme Aust, Chargé de recherche à Sciences Po (CSO, CNRS)
André Bruston, ancien secrétaire permanent du Plan urbain
Élisabeth Ascher-Campagnac, chercheur au Latts
Marie-Flore Mattei, rédactrice en chef des Annales de la recherche urbaine