Portrait du Grand Prix de thèse sur la ville - 2016

Grand Prix du jury du Prix de thèse sur la ville - 2016

Sophie BUHNIK Thèse de doctorat en géographie : « Métropole de l’endroit et métropole de l’envers, décroissance urbaine, vieillissement et mobilité dans les périphéries de l’aire métropolitaine d’Osaka, Japon », thèse soutenue à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne - UMR 8504 Géographie-Cités, sous la direction conjointe de Natacha AVELINE et Sylvie FOL.
  • Quel est votre parcours universitaire et professionnel ?
    Je me suis engagée dans une formation de géographe et d’urbaniste à partir de 2003, lorsque j’ai été admise au Magistère Urbanisme et Aménagement de l’Université Paris 1, en même temps qu’à l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm, après la khâgne. Cette phase de mon parcours académique a été ponctuée de séjours universitaires à l’étranger : à Waseda (Tôkyô) en 2006, à Johns Hopkins (Baltimore) en 2007. De 2008 à mon entrée en doctorat à l’hiver 2009, j’ai travaillé comme chargée d’études à la DATAR, pour les projets de développement de la région capitale.
    J’ai réalisé ma thèse au Centre de recherche sur les réseaux, l’industrie et l’aménagement (CRIA), au sein de l’UMR Géographie-cités. Parallèlement à l’apprentissage du métier d’enseignante-chercheuse (monitrice à l’Université Paris 1 de 2009 à 2012, ATER à l’Université de Cergy puis à l’Université Paris-Sorbonne), j’ai été intégrée à un groupe d’étude du déclin urbain à l’échelle mondiale (le Shrinking Cities International Research Network). J’ai appris le japonais à l’INALCO et sur le terrain : d’avril 2012 à juin 2013, une bourse de la Japan Society for the Promotion of Science m’a permis de séjourner à l’Université Ritsumeikan à Kyôto en tant qu’invitée par la Graduate School of Public Policy. En 2010, je suis devenue éditrice en chef de Japan Analysis, une revue d’analyse de l’actualité japonaise publiée par Asia Centre.
    Il s’agit d’un parcours éclectique qui illustre le fait que j’ai longtemps hésité à me lancer dans une recherche de longue haleine sur le Japon. Au fil du temps, je n’ai plus vécu ce qui m’éloignait en apparence du Japon (ou de problèmes d’urbanisme propres à la France) comme des « lignes brisées » mais au contraire comme des expériences m’aidant à réinsérer le cas japonais dans des débats qui agitent les disciplines de la géographie et de l’urbanisme à l’échelle internationale. J’ai fait face à « l’encastrement » de cet archipel dans un statut atypique : ni pays du Sud émergent, ni pays industrialisé occidental, ni pays d’Asie qui serait allé à l’école de l’Occident à partir du milieu du XIXe siècle (la circulation des savoirs est loin d’avoir été aussi unilatérale). Ajoutée à la distance géographique et linguistique, la difficulté à situer le Japon sur la carte du développement urbain moderne contribue, je pense, à délaisser l’exploitation d’une littérature scientifique comparable à la nôtre dans ses références et ses méthodes, mais aussi de bases de données publiques de grande qualité, propres à enrichir nos réflexions sur les futurs urbains. C’est en étant accueillie par un laboratoire d’analyse spatiale à Kyôto que j’ai obtenu une cartographie fine du peuplement des territoires japonais. J’en ai déduit que la distribution du déclin urbain dans ce pays ne pouvait s’expliquer uniquement par une situation démographique exceptionnelle, mais par la conversion de certains acteurs-clés de la ville à une idéologie qui privilégie le soutien aux territoires déjà attractifs.
  • Qu’est-ce qui a motivé le choix de votre sujet de thèse ?
    Je m’intéresse depuis longtemps aux villes en décroissance ; les villes que j’ai prises comme terrain d’observation avant d’aller au Japon (Le Havre en M1, Berlin en M2) connaissent des phénomènes multi-dimensionnels de récession depuis plusieurs décennies. Comment repenser la production urbaine là où l’on ne peut dégager de la croissance et des fonds pour investir dans l’entretien d’infrastructures, qui plus est dans un contexte libéralisé et mondialisé ? Je m’interroge en particulier sur le point de vue des habitants qui restent, par choix ou par contrainte, dans ces espaces peu attractifs.
    La décision de me pencher sur les banlieues japonaises relève de motifs personnels. Au milieu des années 1990, j’ai été absorbée par une vague de diffusion de la culture populaire japonaise à partir des médias de l’époque. Je vivais dans le quartier d’habitat social des grands champs à Thiais, dont mes parents ont dû déménager en 2009 dans le cadre d’une opération pilotée par l’ANRU. En 1996, j’ai été acceptée en seconde au lycée Louis-Le-Grand : un monde totalement différent, mais où mes camarades appréciaient les mangas et les dessins animés autant que mes voisin(e)s de palier en échec scolaire, alors que l’accès aux humanités classiques était plus sélectif… Aller vers l’Extrême-Orient agit comme un trait d’union entre les univers sociaux que j’ai traversés, avec les découvertes heureuses et les moments d’aliénation plus douloureux. C’est aussi un moyen de prendre du recul par rapport à mes objets de recherche et à mon rôle de citoyenne. C’est pourquoi il me tient à cœur d’encourager le « rêve d’Asie » auprès des étudiants en géographie et aménagement qui l’expriment.
  • Quel impact sur votre carrière scientifique attendez-vous de ce prix de thèse ?
    Je ressens d’abord une immense reconnaissance envers le jury qui a apprécié mon travail, puis envers les personnes qui ont cru à l’origine dans ce projet de thèse pour le moins risqué, et enfin pour un laboratoire qui m’a soutenue matériellement et humainement pendant six ans, à rebours d’une tendance à raccourcir la durée des doctorats.
    Grâce à ce prix, j’ai tout d’abord décidé de ne pas me lancer tout de suite dans un post-doc, et de prendre un semestre pour lire, approfondir ma connaissance de la langue japonaise, et améliorer mes compétences en analyse de données quantitatives et qualitatives. C’est du temps que je voudrais consacrer à des projets collaboratifs sur le déclin urbain et sur l’évolution des politiques urbaines en Asie orientale, ainsi qu’à la question de la valorisation et du partage de mes données, avant d’envisager des enquêtes longitudinales sur les ménages qui quittent ou gagnent des banlieues dont la population vieillit, au Japon et en France. L’intérêt porté à ma thèse stimule aussi mon souhait de participer à des démarches de recherche-action et à des initiatives de soutien à la mobilité, notamment à Choisy-Le-Roi où j’habite à l’heure actuelle.
    A plus long terme, j’espère contribuer à développer les articulations entre géographie/aménagement et études japonaises (et plus largement, études asiatiques), notamment à travers la constitution de partenariats entre des laboratoires de géographie, aménagement et analyse spatiale européens et japonais.

En savoir plus sur le Prix de thèse sur la ville - 11e édition, 2016

Partager la page