Rencontre

«Il faut sortir de cette logique de confrontation entre les villes et les territoires»

Le temps des villes et des territoiresdossier
Le sociologue Eric Charmes a travaillé sur les «gated communities», ces espaces de résidences fermés, connues aux Etats-Unis. Mais c’est en France qu’il a pu observer leur gestion toute particulière et questionner en filigrane l’étalement urbain.
par Virginie de Rocquigny
publié le 2 septembre 2021 à 15h37
(mis à jour le 23 février 2022 à 10h10)
Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. «Libération», partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. Thème de ce lundi 28 février : « Zones à défendre versus gated communities, où en sommes-nous de nos espaces communs ? » Informations sur le site du musée.
Article initialement paru le 2 septembre 2021.

Eric Charmes a trouvé dans les rues son terrain de recherche favori. Les impasses de la périphérie de Bangkok d’abord, où il a planché sur sa thèse de géographie. Puis deux petites rues emblématiques du quartier de Belleville à Paris, où il mène des entretiens avec les riverains sur la technique des «parcours commentés», afin de comprendre les liens entre rue et sociabilité. Un travail qui donne lieu à la publication en 2006 de son ouvrage La rue, village ou décor ?

De ces travaux au ras du bitume naissent de nouvelles recherches sur les espaces résidentiels fermés : les gated communities. En 2003, le directeur de recherche à l’Ecole de l’aménagement durable des territoires intègre un groupe international sur ce sujet. «Un moment de vie intellectuel très fort. Tous les deux ans, on se réunissait dans une ville différente pour étudier des quartiers fermés. Cela donnait lieu à des débats vifs et riches, entre les partisans d’une critique radicale et tout un courant qui voient dans ces espaces fermés une solution pour pallier les défauts de la gestion publique.»

La commune comme syndic de copropriété

En France, les gated communities sont bien moins répandues qu’aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud mais Eric Charmes découvre que certaines communes proposent des systèmes de fermeture tout aussi efficaces. Il étudie notamment la commune de Gressy, 900 habitants, non loin de l’aéroport de Roissy. Une configuration typique de commune périurbaine, où 300 familles gèrent leur village comme un syndic de copropriété. Même fonctionnement à Châteaufort, dans les Yvelines.

Il donne un nom à ce phénomène qui transforme certaines communes en «resort» (complexe où les habitants deviennent membres d’un club) : la «clubbisation». «Je m’efforce de développer des concepts critiques qui ne soient pas qu’à l’usage de mes collègues, mais dont les acteurs peuvent s’emparer. Le maire peut ainsi comprendre pourquoi ses administrés le traitent comme un président de syndic !»

«La question de la représentation politique n’est pas réglée»

La question de la densité versus l’étalement urbain apparaît en filigrane de tous ses travaux. «Il faut sortir de cette logique de confrontation. Il n’y a pas d’un côté la métropole qui densifie et de l’autre les territoires tout autour qui se développent mal.» Dans le cadre du programme Popsu, dont il est référent scientifique de la plateforme lyonnaise, il a dirigé cette année un cahier sur les métropoles et l’éloignement résidentiel dans le périurbain de Lyon.

En arrière-plan à ce travail, le mouvement des gilets jaunes et la tension entre coût de la mobilité et coût de l’énergie. «Le discours sur les inégalités territoriales a changé mais ce qui n’a pas été réglé, de mon point de vue, c’est la question de la représentation politique. Le besoin d’être entendu et surtout pas d’une façon paternaliste. Les habitants du périurbain ne veulent pas qu’on les aide à vivre dans les métropoles, la plupart sont très contents d’être là où ils sont !» Il estime que la crise sanitaire fait bouger les lignes et que le discours assimilant la ville à des vertus écologiques perd du poids. «La périurbanisation, c’est aussi la revitalisation des campagnes !» rappelle l’auteur d’un essai intitulé La revanche des villages.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus