« La ville du “fait main”. Ce que la fabrique parisienne du luxe dit de la ville productive »

« La ville du “fait main”. Ce que la fabrique parisienne du luxe dit de la ville productive »

Acadie Coopérative

Equipe de recherche

Martin VANIER, Professeur de géographie, aménagement et urbanisme à l’Université de Paris Est Créteil, Directeur d’études à Acadie
Sacha CZERTOK, chargé d’études, ACADIE

Objectifs de la recherche

Dans la zone dense de la métropole parisienne (Paris et sa première couronne), se maintiennent des systèmes productifs locaux qui sont à la fois industriels par leurs productions et leurs marchés, et artisanaux par leurs modes de faire et leur organisation. Ces tissus de TPE-PME ont en commun la permanence de la production ouvrière de type manufacturière, celle où le travail à la main reste essentiel. Cette fabrique parisienne est toujours présentée comme un héritage magnifique mais en voie de disparition, une sorte de dernière trace d’un passé industriel révolu. Or, elle demeure, se déplace, se recompose au gré des produits et des marchés.
Parmi ces activités et emplois de fabrique, ceux du secteur du luxe sont d’excellents exemples des paradoxes de ce qui continue, de fait, à constituer l’industrie parisienne : des emplois ouvriers, mais dans une ville qui en compte de moins en moins ; des activités de fabrication, mais sans « urbanisme industriel » et espaces économiques dédiés pour les accueillir ; des externalités locales intenses, mais adossées à une indispensable insertion dans des réseaux globaux, de donneurs d’ordre, de fournisseurs, comme de commercialisation.
Ce sont ces paradoxes qui font l’objet de cette recherche qui consiste à revenir sur les conditions sociales de l’inscription urbaine du travail manuel, que de nombreuses logiques économiques, urbaines et sociales ont conduit à ne plus considérer. Il s’agira de mieux saisir l’espace social qu’est la ville des fabriques, dans le contexte parisien et banlieusard de la ville dense ou très dense, là où la forme urbaine laisse à peine deviner l’espace productif. Pour cela, l’équipe s’attachera à décrire le renouvellement de fait du marché toujours en voie d’épuisement des « mains d’or », autrement des ouvriers très qualifiés du « fait main », et à montrer les différentes échelles de la fabrique parisienne du luxe, qui n’est pas un système local, mais une place dans un archipel productif national et international.

Les territoires de la recherche

Un des rares modèles interprétatifs de la permanence des activités productives au cœur de la ville dense constituée - en dépit de toutes les contraintes qu’elle leur oppose - est le district marshallien artisanal-industriel, dans sa variante urbaine à forte composante commerciale (négoce, commerce de gros) : le modèle du sentier. Il est caractérisé par un tissu de petites et très petites entreprises, aux relations multiples (techniques, commerciales, financières, familiales, ethniques…), constituant un écosystème culturel dense aux externalités très fortes, fondé à la fois sur les coopérations et les concurrences, et formant un espace spécialisé dans la ville, identifié très au-delà d’elle comme une place majeure de l’économie globale du secteur, grâce à la vitrine commerciale de ses activités de négoce.

Le modèle du sentier, dont le Sentier parisien né dans la deuxième moitié du 19ème siècle est le générique en France, est, sous diverses formes, universel. En France, on en parle aujourd’hui plutôt comme une survivance originale que comme une forme d’avenir, quoi qu’elle suscite de nouveaux développements dans la métropole, hors des quartiers d’origine, tant pour sa fonction productive que pour sa fonction commerciale. A Paris, les quartiers de fabrique de type sentier concernent essentiellement les secteurs de la mode et du prêt-à-porter, de la bijouterie-joaillerie-horlogerie, de l’ameublement-décoration et de l’artisanat d’art, et dans une moindre mesure de la cosmétique et des parfums. Même si on ne peut pas rattacher à ce fonctionnement la totalité des 30 000 emplois de fabrication décomptés dans Paris (11 000 en hôtels industriels, 17 à 20 000 en diffus), ni les 30 000 autres emplois de fabrique du reste de la région parisienne en-dehors de Paris, il est permis de penser que les microsystèmes productifs locaux urbains, de type sentier ou fabrique, se perpétuent, donc se réinventent, s’adaptent, se relocalisent, et changent avec la ville dont ils sont inséparables. Il s’agit bien d’une composante de la ville productive, dépendante de certaines conditions sociales et urbaines qui caractérisent plus particulièrement la très grande ville.
Ce qui justifie le choix de cet objet d’étude, qui peut sembler très ou trop particulier, c’est ce qu’il dit de la ville productive en général, aujourd’hui à nouveau. En effet, alors qu’au temps du fordisme triomphant la fabrique parisienne du luxe apparaissait comme un monde industriel de niches (et de riches), sans logique commune avec le reste du monde productif, on partira ici de l’hypothèse fondamentale qu’elle est actuellement exemplaire de nombre d’enjeux qui sont les siens, dont les enjeux proprement urbains. Si les 30 000 emplois de fabrique dans Paris (et autant autour) ne sont pas très visibles parmi le million d’emplois parisiens ou les 4 millions d’emplois métropolitains, ils sont la base de marchés emblématiques, exportateurs, et très significatifs des évolutions générales de la production dans des pays qui, comme la France, recherchent leur avenir industriel.

La méthode

L’approche développée est exclusivement qualitative et empirique, par observation de situations concrètes. Il s’agit d’observer une demi-douzaine d’entreprises, repérées par interconnaissance, parisiennes ou grand-parisiennes., caractérisées par l’importance du travail de fabrique (travail à la main ou travail très délicat) d’ouvriers de métier. L’entrée principale est le secteur du cuir, par facilité du premier contact (et parce que le réseau fournisseur-donneur d’ordre- producteur est intéressant), ce qui n’empêchera pas d’examiner d’autres secteurs de l’industrie du luxe. La méthodologie déployée se décompose de la manière suivante :
• Travail d’enquêtes qualitatives à base de visites, d’observations et d’entretiens au sein d’une demi-douzaine de petites entreprises du luxe, dans le secteur du cuir et du prêt-à-porter, approchées exclusivement par interconnaissance.
• Ecoute des personnes (ouvriers, entrepreneurs) en tant que témoins des choix contraints, des arbitrages, des trajectoires, qui font la permanence et la résilience de la fabrique parisienne du luxe (et au-delà d’elle d’autres secteurs manufacturiers) : les histoires de vie disent de fait « quelle place pour quel travail en ville ».
• Interactions avec quelques chercheurs d’une part, et quelques acteurs urbains d’autres part, dans le souci de produire un résultat qui trouve sa réception à la fois académique et politique.

Responsable PUCA : François Ménard

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